SERGE DELAUNE

Pourquoi Serge Delaune martyrise-t-il des livres de messe ? Pourquoi s’attaque-t-il à une bible ou à un missel ? La question est mal posée, car son évolution artistique montre qu’il ne respecte pas plus Mao que Jésus. C’est donc bien « l’objet-livre » qui l’inspire. Mais là où les autres plasticiens élaborent des « livres d’artistes » classiques, avec textes et dessins, là où d’autres créateurs les ont accumulés, enrubannés, voire tout simplement écrits, lui les torture allègrement ! Car ce n’est que par des clous, du verre et du bronze que Delaune leur offre une beauté nouvelle, authentique et profonde, dénuée de toute facilité superficielle : la beauté dont Kandinsky disait qu’elle touche l’âme. Ni trait ni peinture, encore moins de gravure ou de collage – à la rigueur, un arrachage –, même pas de signature… sauf sur les derniers mémolivres, un tampon de cire rouge sur la couverture : « JE ».

Serge Delaune l’a-t-il fait exprès ? Ce tampon n’est apposé que sur les mémolivres dorés transpercés de sept clous, autrement dit sur sa série des Sept Péchés capitaux. Signerait-il inconsciemment sa confession d’humain ? Avouerait-il, dans la matière, ce que nous sommes tous sans le signer ? L’artiste revendique cette signature comme son vrai « moi », comme s’il était plus vrai pour lui de signer « JE » que « Serge Delaune ». Se cache-t-il derrière ce qu’il est vraiment ? Certes, montrer ne signifie pas être vu en profondeur. Voir en quelqu’un n’est pas chose facile. Il faut percer, transpercer la carapace, et c’est bien ce que Serge Delaune accomplit : il transperce les livres, nous forçant ainsi à les regarder différemment. Et, enfin, nous les voyons.

Emmanuel Pons

Extrait de "Serge Delaune", collection L'Art en Poche, éditions Rytmance